Le classicisme français du XVIIe siècle : Littérature de l'âge classique
Le XVIIe
siècle compte deux grands courants littéraires tout à la fois concurrents mais
aussi complémentaires : le classicisme et la littérature baroque.
Concurrents car le
classicisme en littérature s'imposera face au baroque mais aussi
complémentaires car certains auteurs ont
été influencés par
les deux courants à la fois (comme Pierre Corneille). Mais dès la fin
du siècle se
dessine en littérature un courant de pensée qui
annonce déjà
les Lumières (avec La Bruyère
par exemple). Les
grands noms de la littérature de cette époque sont: Corneille, Jean Racine,
Molière, Pascal, La Rouchefoucault, La Fontaine, Nicolas Boileau, La Bruyère,
Mme de La Fayette.
Même si le
XVIIe siècle débute en France sous de bons auspices avec la promulgation de l'édit
de Nantes (1598), qui marque une étape importante dans les travaux de pacification du royaume entrepris par Henri IV,
l'instabilité politique et sociale se prolonge cependant. L'autorité royale, mise en péril par les complots de l'aristocratie (la
Fronde, 16481653), est pourtant fortement consolidée à l'initiative de Louis XIII et de Richelieu, puis sous l'autorité
de Mazarin. Mais c'est seulement après la mort de celui-ci, en 1661, et avec
l'avènement effectif du règne de Louis XIV, que sonne la naissance de l'âge
classique, qui s'achèvera vers 1685. Le XVIIe siècle est donc, en schématisant,
double: baroque et instable dans sa première moitié, qui correspond à peu près
au règne de Louis XIII, il voit dans sa seconde moitié, coïncidant avec le règne de Louis XIV, naître le classicisme, cet idéal d'équilibre et de clarté qui devait concerner
tous les domaines de l'art et de la pensée.
Le règne
effectif de Louis XIV, après la mort de Mazarin (1661), marque l'avènement de
ce que l'on appelle, depuis le XIXe siècle, l'âge classique. Classicisme
(littérature), courant esthétique regroupant l'ensemble des ouvrages qui
prennent comme référence esthétique les chefs-d'œuvre de l'Antiquité gréco-latine.
Le terme a une définition esthétique mais aussi historique, puisqu'en France
l'«époque classique» est la période de
création littéraire et artistique correspondant à ce que Voltaire appelait «le
siècle de Louis XIV»; il s'agit essentiellement des années 1660-1680, mais en
réalité la période classique s'étend jusqu'au siècle suivant. Le classicisme en
France est un cas singulier: cette période a été appelée classique parce
qu'elle se donnait comme idéal l'imitation des Anciens, mais aussi parce
qu'elle est devenue une période de référence de la culture nationale.
Au-delà de
ces définitions historique et esthétique, le sens du terme «classique» a été étendu jusqu'à désigner tout écrivain
dont l'œuvre semble propre à être étudiée dans les écoles pour y servir de
modèle. Dans un sens encore plus large, est classique toute œuvre culturelle
qui est devenue une référence: on dit ainsi couramment de tel film qu'il est un
classique. Chaque littérature a ainsi ses écrivains classiques. Il existe par
ailleurs des périodes littéraires qualifiées de classiques: « classicisme de
Weimar » en Allemagne (du voyage en Italie de Goethe en 1786 à la mort de
Schiller en 1805), «âge» de Dryden et de
Pope en Angleterre, par exemple. Nous parlerons ici du classicisme du Grand Siècle.
La diversité de la littérature française du XVIIe siècle semble remettre en
question la catégorie de classicisme. En effet, certains commentateurs ont été
conduits à évoquer le «romantisme» des
classiques, pour parler par exemple de la couleur locale dans le théâtre de
Corneille, ou de la préoccupation du «moi»
perceptible dans l'œuvre de Retz. D'autres ont même parlé du
«naturalisme» des classiques, en
évoquant la peinture sociale dans les grandes comédies de Molière, dans les
romans de Charles Sorel ou de Furetière. On décèle en outre, dans la période
dite «classique» , une persistance du baroque, comme dans les pièces à machines
(le Dom Juan de Molière) ou dans la thématique funèbre de Bossuet. Tout cela a
conduit les commentateurs à multiplier les étiquettes: préclassicisme,
préciosité, burlesque, grotesque, libertinage, jansénisme, littérature
mondaine, etc.
Malgré
cette confusion lexicale et la diversité des œuvres produites à l'époque dite
classique, on peut tenter de définir le classicisme comme moment historique :
alors que les pays du Sud sortent de leur siècle d'or, que ceux de l'Est sont
ravagés par la guerre, alors que ceux du Nord s'enrichissent mais connaissent
des troubles, l'ةtat français cherche une
stabilité après les guerres civiles du XVIe siècle (guerres de religion): il la
trouve après les guerres du milieu du XVIIe siècle (la Fronde). La recherche
d'une organisation harmonieuse et solide entre les élites sociales (caste
parlementaire, grande noblesse d'épée) ou entre les courants religieux
(gallicanisme et romanisme jésuite) comprend naturellement un volet culturel.
Prolongeant la politique de Richelieu, Louis XIV affirme la vigueur de l'ةtat en renforçant son administration et en
intervenant dans l'économie, mais aussi en construisant une politique
culturelle: subventions à des auteurs choisis et fondation d'institutions d'ةtat, telles que les Académies. Richelieu avait fondé
l'Académie française en 1634 et lui avait ordonné trois ans plus tard de rendre
son jugement pour terminer la «querelle du Cid»
(polémique littéraire autour d'un succès de Corneille). Seront
organisées plus tard l'Académie royale de peinture et de sculpture (1648),
celle d'architecture (1671) et celle de musique (dont Lully devient directeur
en 1672). La mainmise royale sur le théâtre s'accomplit lors de la fusion de
trois troupes pour former la Comédie-Française (1680).
Les auteurs
et les institutions de Louis XIV vont travailler pour définir le bon usage du
français, au-delà de la diversité conflictuelle des castes et des goûts.
Parallèlement se codifie le comportement en société par la définition d'un
idéal de l'«honnête homme». Ce travail hérite de l'Antiquité à travers la
Renaissance italienne et l'humanisme érudit hollandais. L'Académie française s'était
vu confier la tâche d'élaborer un dictionnaire, une rhétorique et une poétique
: les trois domaines envisagés sont donc la langue, la prose et la littérature
en vers.
La langue classique: La France du XVIIe siècle connaît
encore le multilinguisme, avec des parlers ou des accents régionaux et sociaux
très contrastés. Cependant, le français n'y est plus perçu comme une langue
«vulgaire» par rapport au latin, comme
c'était encore le cas au siècle précédent. Reste à en fixer le bon usage,
c'est-à-dire «la façon de parler de la plus saine partie de la cour,
conformément à la façon d'écrire de la plus saine partie des auteurs du temps»,
comme l'écrit Vaugelas dans ses Remarques sur la langue française (1647). De
nombreux ouvrages paraissent à la suite du sien, comme celui de Ménage,
Observations sur la langue française (1672). La fin du siècle voit paraître
deux grands dictionnaires de la langue française (Richelet, 1680; Furetière,
1690) avant celui des Académiciens (1694).
La prose classique: La réflexion sur la prose classique
dérive de celle sur l'art oratoire: les Belles Lettres naissent de l'éloquence,
et donc de la rhétorique. Le style et les ouvrages de Cicéron (De oratore,
Brutus) sont, à ce titre, fondateurs. Les érudits s'interrogent sur le meilleur
style: quel est-il!? Est-ce l'«atticisme»
(style sévère et simple) ou l'«asianisme» (style plaisant et orné)!? Cicéron insistait
sur la nécessité du decorum, c'est-àdire de l'adaptation du discours à la
situation et à l'auditoire, impliquant des styles plus ou moins élevés. Ce
décorum devient un concept clé du classicisme, par exemple dans l'écriture des
lettres (notamment dans les recueils de lettres fictives ou réelles appelés
Secrétaires). Les débats français reprennent alors les débats italiens. La
civilisation de cour de la noblesse d'épée (la «cour») et la conscience de
classe de l'aristocratie de robe (la «ville») s'y heurtent, comme le font, dans
les Femmes savantes de Molière, Trissotin l'arrogant frivole et Vadius le
pédant austère.
S'ajoute à
cela un débat sur la prose chrétienne, qui se place sous le signe de saint
Augustin. C'est dans les années 1620-1630 que se forme un consensus français,
dont la fin du siècle livre les synthèses (père Bouhours, Entretiens d'Ariste
et d'Eugène, 1671). Préparée par les traductions (les «belles infidèles» ) en
français des historiens latins, la prose classique livre ses chefs-d'œuvre,
dans des registres qui vont du style «naïf»
c'est-à-dire naturel (les Lettres de Mme de Sévigné) au style d'apparat
(les Sermons et Oraisons de Bossuet). La prose s'illustre aussi par les
mémoires (ceux de Retz ou de Saint-Simon), les œuvres morales (Maximes de La
Rochefoucauld et Caractères de La Bruyère) mais aussi les contes (Perrault).
Comme Poussin avait su s'éloigner en peinture à la fois du style du Caravage et
du maniérisme, le roman abandonne à la fois le réalisme cru des «histoires
comiques» (Sorel, Furetière, Cyrano de
Bergerac) et l'irréalité élégante des longs romans de bergers (notamment les
romans pastoraux, illustrés par Honoré d'Urfé avec l'Astrée) ou de princes
(romans héroïques illustrés par Mlle de Scudéry avec le Grand Cyrus). Et la
place, le récit élabore un réalisme élégant, qu'illustrent bien les nouvelles
historiques, comme la Princesse de Clèves de Mme de La Fayette.
La littérature classique en vers: L'Académie n'a jamais rédigé sa
poétique, mais Boileau livre la sienne en 1674. Les grands noms pour la
postérité y figurent déjà: Malherbe, père de la poésie lyrique classique, mais
aussi Corneille, Racine et Molière pour la poésie «dramatique», c'est-à-dire le
théâtre. La poétique classique (appelée «doctrine classique» ) se place sous le
signe de celle d'Aristote et de ses commentateurs italiens (Scaliger, 1561;
Castelveto, 1570) ou hollandais (Heinsius, 1611; Vossius, 1647). Elle reprend à
l'Antiquité la définition de la littérature comme «imitation» et le précepte «plaire et instruire», qui
servira entre autres à justifier l'existence du théâtre contre les attaques des
catholiques rigoureux (la comédie vaut par la satire morale, la tragédie par la
«catharsis», c'est-à-dire la «purgation des passions»). Les deux grands genres
classiques sont l'épopée («poème héroïque») et la tragédie.
L'épopée
(Chapelain, la Pucelle, 1656) ne donne pas de chefs-d'œuvre. En revanche, une
dramaturgie classique, codifiant la tragédie et la grande comédie, s'élabore à
partir de la réflexion sur la tragédie: citons à ce titre la Lettre sur la
règle des vingt-quatre heures (1630) de Chapelain, mais aussi les textes polémiques
autour du Cid et de la Pratique du théâtre (1657) de l'abbé d'Aubignac et les
Discours et Examens (1660) de Corneille. Ces théories, alliées à une riche
expérimentation (rendue possible par l'essor du théâtre joué, la création de
troupes fixes à Paris et la pratique du mécénat pour les troupes itinérantes),
amènent à une nouvelle et féconde classification : farce, tragi-comédie
régulière ou non, pastorale, théâtre à machines et opéra.
La règle
fondamentale la plus célèbre du théâtre classique est celle dite «des trois
unités» (d'action, de temps, de lieu):
selon cette règle, l'intrigue forme un tout organique (unité d'action). De
plus, elle préconise, pour une «imitation»
parfaite, d'éviter la rupture spatio-temporelle: la scène ne représente
qu'un seul lieu (unité de lieu), l'entrée et la sortie des personnages se fait
de façon à marquer l'enchaînement temporel des scènes (liaison des scènes), le
temps de la fiction se rapproche du temps de la représentation en n'excédant
pas vingt-quatre heures (unité de temps). S'ajoutent à ces règles celles de la
vraisemblance, de la cohérence des caractères et de la «bienséance» (celle-ci recommande de ne pas choquer le
spectateur). Le théâtre de Racine, davantage que celui de son aîné Corneille,
trouve précisément sa force esthétique dans le respect même de ces unités, qui
créent une atmosphère de huis-clos et semblent par cela même participer à
l'élaboration de la «crise» tragique (le
moment le plus intense de la pièce, celui où se joue le destin des personnages).
Classicisme et romantisme: C'est le romantisme qui, en rejetant
les principes esthétiques hérités du XVIIe et du XVIIIe siècle, crée a
posteriori le terme de classicisme (Stendhal, Racine et Shakespeare, 1823-1825;
Victor Hugo, Préface de Cromwell, 1827). L'institution scolaire fait ensuite du
classicisme un mythe national, un moment de perfection de la langue et de la
littérature, qui donne un modèle de rationalisme et de précision dans l'analyse
psychologique, un modèle aussi dans la maîtrise des moyens et dans l'effacement
du «moi», un exemple enfin de stylisation, de respect des règles et d'alliance
entre l'esthétique et la morale. Cela ne va pas sans un tri sévère dans la
littérature du Grand Siècle: des trentecinq pièces de Corneille, l'institution
ne semble avoir retenu que le Cid, Horace, Cinna et Polyeucte.
De nombreux
écrivains du XXe siècle revendiquèrent le classicisme, pensé comme un anti
romantisme, par nostalgie d'une époque d'avant les Lumières et d'avant la
révolution industrielle (c'est le cas de Maurras), par une démarche réflexive
et un refus de l'actualité (c'est le cas de Valéry ou de Gide), par choix de la
mesure face aux tentations de la chair (Claudel) ou de l'histoire (Camus).
Romantisme, courant littéraire, culturel et
artistique européen dont les premières manifestations, en Allemagne et en
Angleterre, datent de la fin du XVIIIe siècle. Il se manifesta par la suite en
France et en Italie, mais aussi en Espagne, au Portugal et dans les pays
scandinaves au cours des premières décennies du XIXe siècle. Le romantisme est
un courant de sensibilité et de pensée qui a influencé l'art et la culture de
toute l'Europe, et non une école. C'est en tant que tel que le romantisme a
marqué la création littéraire, que ce soit en Allemagne (Novalis, Wackenroder,
Tieck, Kleist), en Angleterre, (Blake, Wordsworth, Coleridge, Byron, Shelley,
Keats), en France (Stendhal, Lamartine, Vigny, Hugo, Musset, Gautier) ou en
Italie (Manzoni, Leopardi).
Le Théâtre: Le théâtre du Grand Siècle est dominé par deux maîtres: Racine, pour la tragédie, et
Molière, pour la comédie.
Tragédie racinienne: Avec Jean Racine, la tragédie atteint
son apogée: récusant l'humanisme optimiste de Corneille et les compromissions
du romanesque, il veut retrouver la tradition antique en empruntant
exclusivement ses thèmes aux tragiques grecs et latins et à la Bible. Désireux
de susciter «terreur et pitié» à l'instar des Anciens, dans une perspective
édifiante, selon le principe de la catharsis, il met en œuvre dans ses
tragédies les forces obscures de la passion (passion amoureuse et ambition politique),
donnée comme le principal vecteur d'un destin implacable. L'action de ses
tragédies, considérablement épurée par rapport à celles de ses prédécesseurs,
gagne en puissance: le respect strict de l'unité de lieu, de temps et d'action, va dans le sens d'une concentration, et même d'une intériorisation du conflit, qui exprime à la perfection le pessimisme de l'auteur, dont la
pensée doit beaucoup au jansénisme (Andromaque, 1667; Britannicus, 1669; Bérénice, 1670; Iphigénie, 1674; Phèdre, 1677). Dans le genre tragique, il faut
citer encore le nom d'auteurs restés dans l'ombre de Racine, tels Thomas Corneille, frère de Pierre Corneille, et Philippe Quinault.
Comédie moliéresque: En s'inspirant, à l'instar de ses prédécesseurs Corneille et Rotrou, des sources les plus diverses
- les comiques latins (Plaute), la commedia dell'arte et la tradition de la farce -, Molière achève de faire de la
comédie une œuvre littéraire de premier plan. Ses comédies, non dépourvues de profondeur ni de gravité (le Misanthrope, 1666), traitent, sur le mode satirique, de faits de société,
comme le problème de l'éducation des femmes (l'École des femmes, 1662) ou les
excès ridicules de la préciosité (les Précieuses ridicules, 1659). Mais, avec
Tartuffe (pièce écrite en 1664, jouée en 1669) et Dom Juan (1665), il s'attaque
à des problèmes contemporains plus graves, puisqu'il s'agit de dénoncer les
agissements du parti dévot. Molière s'inscrit dans la tradition moraliste de
son époque en faisant de la comédie le lieu de dénonciation des vices de son
temps, mais la portée de son propos le rend pertinent de nos jours encore. En
outre, il sait créer des types littéraires très forts (Harpagon dans l'Avare, par exemple) et inventer un langage dramatique inédit en mêlant la langue des aristocrates et le patois paysan, les situations les plus tragiques
au comique farcesque élémentaire et à la pantomime, etc. Après Molière, mais
loin de l'égaler, des auteurs tels que Jean-François Regnard ou Alain René Lesage se distingueront dans le genre de la comédie. Voir Drame et art
dramatique.
Essor du drame: de la tragi-comédie à
la tragédie: L'épanouissement
du théâtre, genre encore négligé au début du siècle, doit beaucoup à Richelieu,
qui souhaite l'utiliser à des fins de propagande. A Paris, l'unique troupe de
théâtre, celle de l'Hôtel de Bourgogne, est bientôt concurrencée par la
création, en 1634, du théâtre de l'Hôtel du Marais, puis par celle du théâtre
du Palais-Cardinal en 1641. La tragédie classique ne prend pas aussitôt sa
forme régulière, mais grâce aux encouragements des institutions, des auteurs se
révèlent dans des genres divers, notamment la pastorale, très prisée, qui situe une action sentimentale dans un
cadre idyllique et dans laquelle s'illustrent des auteurs tels que
Montchrestien (Bergerie, 1601) ou Jean Mairet (Silvanire, 1629). La tragi-comédie s'impose peu à peu, à partir des
années 1630, avec des auteurs tels que Jean de Schélandre (Tyr et Sidon, 1628),
Jean de Rotrou et surtout Pierre Corneille, qui s'en révélera bientôt le
maître. La tragi-comédie, si elle annonce la tragédie racinienne, relève encore
du baroque par ses thèmes héroïques et spectaculaires, la verdeur de son
langage et sa forme encore irrégulière. Pierre Corneille se situe en fait à la
charnière des deux tendances, baroque et classique, du siècle. Cet auteur, qui donne à la
comédie ses lettres de noblesse en l'adaptant aux mœurs de son temps et à un
public raffiné (Mélite, 1629 ; l'Illusion comique, 1636), s'illustre dans des
genres divers, avec la volonté constante d'agir sur le spectateur, pour l'amener à réfléchir ou à
s'émouvoir, contribuant ainsi à son édification morale. La querelle que suscite
son chef-d'œuvre, la tragicomédie le Cid, en 1637, l'incite à adopter ensuite
les principes de la tragédie régulière, caractérisée par une intrigue épurée -
où les principales forces agissantes sont le destin et les passions, et qui est
dominée en outre par une vraie réflexion philosophique et morale. Cette
nouvelle orientation donne naissance aux autres grandes œuvres tragiques de Corneille, où l'on retrouve mis en œuvre le thème de
l'héroïsme et le schéma du «cas de conscience» qui se pose déjà dans le Cid: Horace (1640), Cinna (1641) et Polyeucte (1642). Les autres principaux auteurs de
tragédie de cette première moitié du siècle sont Tristan l'Hermite, Jean Mairet
et Jean de Rotrou. Voir Drame et art dramatique.
La comédie: Au début du XVIIe siècle, la comédie
n'est pas très répandue en France, alors que la tragédie et surtout la tragi-comédie se partagent les faveurs du public. En
fait, il semble que les auteurs et les spectateurs n'arrivent pas à imaginer un
comique détaché des traditions de la comédie latine et de la farce, qui est d'ailleurs encore fort
prisée. Il faut dire que les genres ne sont pas totalement définis, et on retrouve aussi des éléments comiques dans
la tragi-comédie et dans la pastorale.
Les écrivains de l'époque, comme Pierre Corneille, Rotrou, Mairet ou Scarron,
tentent d'introduire des formes nouvelles de comédies. Ils dessinent les
premiers contours des comédies d'intrigue et de mœurs destinées à se démarquer
des tragi-comédies romanesques. Autour des années 1630, la comédie est encore rare, même si certaines pièces aujourd'hui oubliées comportent une
matière comique très riche. Elle commence néanmoins à se faire reconnaître,
surtout avec l'introduction des comédies espagnoles qui stimulent la création
et renouvellent le genre. Les raisons qui motivent le manque d'empressement du
public sont diverses. D'une part, la comédie est souvent vouée aux sujets
communs et à des personnages médiocres, alors que la tragédie se réserve les
héros et les passions nobles.
Mais
surtout, le rire n'est pas apprécié par les autorités religieuses qui le
trouvent dangereux. En arguant que celui-ci dénote une absence de charité
chrétienne, l'Église le condamne et le qualifie même de diabolique. La comédie
n'est donc pas, par définition même, en odeur de sainteté. C'est dans ce
contexte, qu'il faut imaginer le bouleversement apporté par Molière lorsqu'il
introduit un nouveau style de comédie sur les scènes françaises. Non seulement
il nourrit ses pièces de sujets et de matière qui lui faisaient défaut, mais il
ose surtout faire du rire l'élément clé de ses intrigues, affichant une
hardiesse peu commune. À partir des années 1659, il élargit considérablement le
domaine de la comédie, avec sa première création parisienne Les précieuses
ridicules. Derrière des allures farcesques et une intrigue rebondissant, le
choix du sujet n'est pas anodin. Il met en scène une réalité sociale et une
actualité qui éveillent la curiosité du public de telle sorte que le succès est
immédiat.
Cette
comédie touche à des choses très sérieuses sous le couvert d'une bouffonnerie
d'apparence et la Cabale ne s'y
trompe pas, attaquant violemment Molière. Il ne se laisse pas impressionner et
continue sur sa lancée, approfondissant son sujet avec ses trois comédies
suivantes Les Précieuses, L'École des maris, et L'École de femmes. Cette
dernière, fort appréciée, déclenche un débat virulent et une longue querelle
entre Molière et des ennemis de plus en plus nombreux (mondains ridiculisés,
dévots, confrères jaloux, etc.).
Ces
attaques révèlent surtout les questions sous-jacentes que posent les comédies
de Molière. Dans l'esprit bien pensant de l'époque, la comédie n'est pas faite
pour aborder des sujets sérieux car sinon elle les déconsidère forcément et les
rend ridicules. Molière réagit face à cette conception étroite en souhaitant au
contraire ouvrir encore plus grand le champ des domaines couverts par la
comédie. Il a pour elle de grandes ambitions et, par son génie, il démontre à
ses contemporains toutes les possibilités alors inexplorées que renferme ce
genre. C'est ainsi qu'il transforme radicalement la scène française et que naît la “grande comédie”, celle qui atteint, sous l'âge classique,
sa forme la plus achevée.
Contes et fables: Le XVIe siècle a vu le genre de la
nouvelle émerger et gagner ses lettres de noblesse; au XVIIe siècle, ce genre perdure avec les Nouvelles
françaises de Jean de Segrais (1624-1701) et les nouvelles historiques de
Saint-Réal (1639-1692). Mais c'est la fable et le conte qui s'imposent de la
façon la plus spectaculaire comme des genres à part entière.
Fable: De grands auteurs s'emparent en effet
de ces formes jusque-là réputées mineures: Jean de La Fontaine s'inspire
d'Ésope et de Phèdre pour ressusciter le genre de la fable. Mettant en scène
des animaux, des types humains ou des figures mythologiques pour illustrer les
travers ou les vertus de la société de son siècle, ses fables, composées
souvent en vers mêlés, brillent par la variété de ton, la force suggestive et
la concision des notations et par la justesse acérée du regard. Ce faisant, La
Fontaine réussit la prouesse d'exploiter toutes les ressources de cette forme
brève en s'affranchissant progressivement de ses modèles pour emprunter à d'autres
formes littéraires; atteignant parfois une dimension véritablement épique, il
livre une morale sévère et pessimiste d'honnête homme.
La Fontaine et ses sources
orientales: La
Fontaine, comme plus tard Victor Hugo, n’aura entrepris aucun voyage en Orient,
mais comme l’auteur des Orientales, il aura su faire appel à des
écrivains-voyageurs de ses amis, et il empruntera beaucoup de thèmes et de
personnages de ces régions du monde. C’est que le XVII siècle est propice aux
voyages vers le Levant; un traité assez favorable à notre pays, conclu avec
l’Empire Ottoman et connu sous le nom de Capitulations (du latin capitulations,
chapitres de cet «accord de coopération»), permet à nos négociants, nos
diplomates, nos missionnaires, de se rendre, à titre privé ou officiel, dans
les Etats turcs. On recense environ deux cents récits de voyage en français, et
qui sont lus dans la bonne société parisienne ou provinciale, tout au long de
ce siècle.
Ainsi,
François Bernier (1620-1688), qui a étudié la médecine à Montpellier et
s’embarque pour la Syrie en 1654, passe en Egypte et se rend en Inde où il
exercera comme médecin du Grand Moghol Aurangzeb à Delhi pendant huit ans.
Familier de Boileau, Racine, ses lettres sont lues par Chapelain chez le
chancelier Séguier, où l’Académie Française tenait ses réunions. Ses récits de
voyage et son Histoire de la dernière révolution des Etats du Grand Moghol
paraissent en 1670-1671 et La Fontaine l’aura rencontré dans le salon de Madame
de La Sablière, sa bienfaitrice. On peut dire que Bernier, excellent écrivain
et philosophe gassendiste aura mis à la mode les rapports entre création
littéraire et curiosité de l’Orient. De nombreuses fables ont bénéficié de ses
observations. C’est également l’époque où Jean Chardin fait paraître, au retour
d’Iran, La Perse et les Persans (1671 à 1675), Jean Baptiste Tavernier, autre
huguenot, ses Six voyages en Turquie, en Perse et aux Indes (1611), tandis que
Jean Thévenot les aura devancés avec la publication de ses récits de voyage en
Turquie et en Egypte (1655 à 1659), auxquels les répliques de Molière dans Les
Fourberies de Scapin auront beaucoup emprunté.
Plusieurs
traductions d’ouvrages importants de la littérature arabe et persane, à la même
époque, permettent au public cultivé de se familiariser avec des œuvres encore
inconnues. En 1664, Le Pouvoir et les Intellectuels ou Les Aventures de Kalila
et Dimna, d’Abdallah Ibn Mouqaffah (mort en 756) fait connaître le plus grand
ensemble de fables orientales d’origine indienne (un certain Bidpâi ou Pilpay
les aurait composées), traduites en pehlevi (ancien persan) au VI° siècle, puis
en arabe par un écrivain de famille mazdéenne de Bagdad. Le chef d’œuvre de la
littérature universelle va devenir l’une des sources d’inspiration de La
Fontaine, au même titre qu’Esope et Phèdre. En 1647, Du Ryer rédige la première
traduction en français du Coran. En 1654, Gentius présente le recueil de poèmes
de Saadi, le Gulistan (qu’aimeront Diderot et Marceline Desbordes-Valmore) et
en 1697, Barthélémy d’Herbelot publie une encyclopédie orientaliste
remarquable, Bibliothèque orientale ou Dictionnaire universel contenant tout ce
qui fait connaître les peuples de l’Orient, ouvrage de référence pour deux
siècles.
Le grand
public est sensibilisé aux situations orientales par les dramaturges. Maire, en
1630, a fait jouer Soliman ou la mort de Mustapha, Tristan Lhermite, en 1656,
La mort d’Osman, Rotrou, en 1658 Cosroes, qui décrit une cour exotique aux
mœurs tortueuses et sanguinaires. Corneille, dans Le Menteur (1644) fait
référence aux Ottomans: «Je serai marié si l’on veut en Turquie» (v.1050),
«Vous serez marié si l’on veut en Turquie» (v.1710), «Je serai marié si l’on
veut en Alger» (v.1720). Molière
également dans Les Fourberies de Scapin, après avoir emprunté son
Médecin malgré lui à un conte du moyen âge Le vilain
Mire, lui- même décalque d’un conte persan, Le devin menteur. Quant au
«mamamouchi» du Bourgeois Gentilhomme, c’est un rappel «boulevardier» de la
visite mémorable de l’envoyé de la Sublime Porte à Versailles, Soliman Agha, en
1669, qui avait frappé ses hôtes en offrant du café (dont Madame de Sévigné, se
trompant deux fois, aura déclaré qu’il «passera comme Racine») et en proposant
d’acheter une jeune fille de la cour pour le Sultan. Louis XIV, ayant bien ri
de la proposition, demanda à Molière de l’inclure dans une de ses prochaines
pièces. Ce dernier fut conseillé par le Chevalier d’Arvieux, longtemps consul à
Alger, et turcophone distingué.
Racine,
quant à lui, avait soigneusement lu L’histoire de l’état présent de l’Empire
Ottoman de Paul Rycault (1652), traduit en Français en 1670, et qui avait
longtemps résidé à Istanbul, avant de composer Bajazet. Dans la préface de la
pièce, on peut lire: «e me suis attaché à bien exprimer dans ma tragédie ce que
nous savons des mœurs et des maximes des Turcs». Dans les romans de l’époque,
Ibrahim ou l’illustre Vassal de Mademoiselle de Scudery, Ibrahim de Prechac, ou
Les mémoires du Sérail de Madame de Villedieu, le déguisement des personnages
est transparent; on retrouve la description de la société du temps, mais
l’habillage est oriental et permet de déjouer la censure et les critiques
hargneux. La Fontaine, comme ses contemporains, va puiser aux mêmes sources,
utiliser les mêmes articles. Il nous en prévient dans son Avertissement du
second recueil des fables (1668- 1679): «Je dirai par reconnaissance que j’en
dois la plus grande partie à Pilpay sage indien «(variante de la transcription
de «Bidpay»). Certains spécialistes pensent que le quart des fables est d’origine
orientale, mais La Fontaine y trouve aussi le moyen de défendre ses idées.
Ainsi, dans
Le Milan, le Roi et le Chasseur (XII, 12), dédié à S.A.S Mgr le Prince de
Conti, prend-il la précaution d’ajouter « Pilpay fait près du Gange arriver l’aventure
». Il reconnaît, de toute façon, modestement ses emprunts, comme dans
l’Epilogue du livre XI: «Truchement (3) de peuples divers Je les faisais servir
d’acteurs en mon ouvrage. Car tout parle dans l’univers» (v. 5 à 7) Il
n’hésitera pas pourtant à oser critiquer les tentatives de Colbert (qui avait
contribué à la disgrâce de Fouquet, son protecteur) d’établir, à l’image des
Anglais, des compagnies pour le commerce avec les Indes (1664); il ose émettre
cet avis dans Le Berger et la Mer (IV,2): «La mer promet monts et merveilles;
Fiez-vous y; les vents et les voleurs viendront.» (v.31 -32)
Les
allusions à son informateur François Bernier, le voyageur dont nous avons parlé
et qui avait publié de 1674 à 1678 un Abrégé de la philosophie de Gassendi (en
huit tomes...), sont également assez nombreuses. Nous en citerons deux: Dans Le
Discours à Madame de la Sablière (IX), il parle de lui: «En ces fables aussi
j’entremêle des traits De certaine philosophie Subtile, engageante et hardie.»
Et dans L’Horoscope (VIII, 16), il rappelle sa théorie des atomes et la manière
(rapportée de l’Inde) de dresser des horoscopes. Mais dans L’Homme qui court
après la Fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit (VII, 12), le facétieux
auteur se compare à son ami Bernier, qui avait évoqué devant lui l’empire du
Grand Moghol et la ville de Surate, mais auquel il reprochait quand même son
agitation: «Le Japon ne fut pas plus heureux à cet homme. Que le Moghol l’avait
été.»
Il lui fera
un autre clin d’œil, en vantant le jardin de Madame de Châtelain à Clamart:
«J’aime cent fois mieux cette herbe. Que les précieux tapis. Sur qui l’Orient
superbe. Voit ses empereurs assis.» Hors les régions orientales, La Fontaine
évoque aussi l’Amérique, qui commençait à être connue par ses expatriés;
parfois ce n’est qu’un rêve, et l’un des fils du Vieillard et les trois Jeunes
Gens (XI,8) «se noya dès le port allant à l’Amérique.» Les héros de Les deux
Amis (VIII, 11) «vivaient au Monomotapa». Notre fabuliste se place dans la
tradition de Montaigne en ce qui concerne le mythe du « bon sauvage», en
général iroquois, et qu’il évoque dans son Poème du Quinquina (chant I, 1682),
ou sur un ton critique vis-à-vis de notre société dans La Discorde (VI, 20):
«Gens grossiers, peu civilisés. Et qui se mariant sans prêtre et sans notaire.
De la discorde n’ont que faire.» (v. L11 à 13)
L’Orient
antique, c’est la Bible et La Fontaine, ancien séminariste et proche de Port
Royal a lu avec attention la traduction de Sylvestre de Sacy. En 1671, il
publie une paraphrase du Psaume XII et le 16 juin 1693, il fera lire devant
l’Académie Française Dies Irae. C’est aussi l’Egypte qu’il évoque dans le
Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre (IV, 12 en mentionnant en vers
l’expédition d’Alexandre à l’oasis de Siwah, à la frontière libyenne, où il se
fera reconnaître fils d’Ammon»: «qu’un fils de Jupiter, un certain
Alexandre...». (v.6)
Est évoquée
également l’Andalousie, ou le Maroc, dans le conte La Fiancée du Roi de Garbe
(«Garbe», transcrit en espagnol «Algrave», province occidentale de l’Espagne et
qu’on retrouve dans le nom géographique «Maghreb», l’Occident), ainsi que les
échanges maritimes de l’époque avec l’Egypte («Zaïn, soudan [sultan]
d’Alexandrie) ou la Palestine («Joppe/Jaffa). L’empire ottoman est décrit à
plusieurs reprises. Dans Le Dragon à plusieurs têtes et le Dragon à plusieurs
queues (I, 12) on voit "l’envoyé du grand seigneur chez l’empereur
d’Allemagne". L’anecdote est rapportée par Galland, le futur adaptateur
des Mille et Une Nuits dans ses Paroles remarquables, bons mots et maximes des
Orientaux (Vlll, 18). L’allusion à la justice expéditive des «cadi» musulmans
dans Les Frelons et les Mouches à miel (1,21) est emprunté à cette Histoire de
la révolution du grand Moghol (1670, tome 2) de Bernier: «Plût à Dieu qu’on
réglât ainsi tous les procès. Que des Turcs en cela on suivît la méthode.»
(v.31-32)
Le Bassa
(pacha) et le Marchand (VIII, 18) décrit l’occupation ottomane de la Grèce, la
concussion des fonctionnaires turcs, et l’utilisation de café empoisonné pour
se débarrasser des importuns; de même la façon de négocier en introduisant une
anecdote supplémentaire dans la trame de la fable. Tout cela naturellement a
été soufflé par Bernier, et La Fontaine n’aura «recentré» sa conclusion
relative à la guerre de Hollande que pour obtenir les faveurs royales. Dans Le
Rat qui s’est retiré du monde (VII, 3), on rend hommage pour l’inspiration aux
«Levantin en leur légende». En effet, l’attitude égoïste du religieux, peu
solidaire de ses concitoyens, est une situation empruntée à Pilpay et à Ibn Al
Mouqaffah: aux solliciteurs... «Le nouveau saint ferme sa porte. Qui désigne-je
à votre avis. Par ce rat si peu secourable ?
Un moine ? Non, un dervis.» (v.31 à 34) (4)
Le sujet de
la fable Le Corbeau et le Renard (1,2) est emprunté au folklore persan, mais
là, le corbeau est le plus rusé et le renard se casse une dent (au sens propre)
de colère d’avoir été battu. Attribué à Esope, Le Villageois et le Serpent (VI,
13) vient également de Kalila et Dimna et souligne que les ingrats peuvent être
punis. Le Loup et le Renard (XII, 9), d’origine persane également, constitue la
revanche du renard; bloqué au fond d’un puits dans un seau qu’il avait utilisé
pour croquer le croissant de lune qu’il avait pris pour un fromage, il s’en
sort en faisant appel au loup «qui fut un sot de le croire». Mais Persans comme
Français n’ont pas à se croire plus malin que ces deux compères «Ne nous en
moquons point, nous nous laissons séduire, Par aussi peu de fondement.»
(v.44-45)
La question
de la religion est également évoquée sous deux formes; par le rappel des
extrémistes ismaéliens des XII et XII siècles, réfugiés dans la forteresse
d’Alamout et qui seront exterminés par les Moghols; dans Feronde ou le
purgatoire (FV,6) on apprend que: «Vers le Levant de Vieil de la Montagne. Se
rendit craint par un moyen nouveau" (v.1-2) et dans la description de
l’hypocrisie de certains pharisiens modernes; il s’agit du personnage de
«Grippeminaud» (nom emprunté à Rabelais, qui est bien présent aussi dans les
Fables), ermite vénérable et respecté, à la manière du «chat» de l’épisode de
Kalila et Dimna intitulé Le rossignol, le lièvre et le chat, et que La Fontaine
rebaptise Le Chat, la Belette et le petit Lapin (VII, 16), et qu’il décrit
ainsi: «Un chat vivant comme un dévot ermite» (v.32) «Un saint homme de chat,
bien fourré gros et gras (v.34)
Mais cette
réincarnation du «chat jeûneur» du poète persan Nasrollah Chirazi (milieu du
XIIe siècle) est tout aussi hypocrite: «Grippeminaud, le bon apôtre... Croqua
l’un et l’autre» (v.43-45) Il serait intéressant à ce propos de consulter
l’ouvrage d’Olivier Bonnerot (5) pour se rendre compte à quel point sont
proches Iraniens et Français dans le domaine de l’humour et du conte. L’Inde
est également souvent décrite; Le Rat et l’Eléphant (VIII, 15) montre un
équipage de maharané: «Sur l’animal à triple étage. Une sultane de renom [...]
S’en allait en pèlerinage.» (v. 15-16; 19)
De même
dans Le Songe d’un Habitant du Mogol (XI,4), la situation inversée du ministre
cupide qui se retrouve en paradis car «Ce vizir quelquefois cherchait la
solitude » tandis que le moine est condamné à l’enfer parce que «Cet ermite aux
vizirs allait faire sa cour », pourrait être aussi valable en Occident. Il
s’agit pourtant d’une anecdote rapportée par Dernier, qui avait aussi évoqué
les bûchers de sacrifice de la religion hindoue, que l’on retrouve dans Jupiter
et le Passager (IX, 3): «Il brûla quelques os quand il fut au rivage.» La
croyance aux «Djinns» (génies) est rapportée dans Les Souhaits (VII, 6); ils
apparaissent sous le terme de «follets», qui peut être une traduction proposée
par Bernier: «Il est au Moghol des follets. Qui font office de valets.» (v.let
2) Celui-là est transféré de l’Inde en Norvège: «Et d’Indou qu’il était on vous
le fit Lapon.» (v.25) Satisfaire les vœux de ses maîtres indiens en guise
d’adieu va provoqué des catastrophes, déjà commentées dans Le Livre de Sindbad
le Marin, incorporé dans les Mille et une Nuits.
C’est cet
autre voyageur, Tavernier, dont nous avons parlé plus haut, qui aura décrit à
La Fontaine le système ottoman de recrutement des responsables administratifs,
esclaves devenant gouverneurs et vizirs, puisqu’ils n’existait pas d’état de
noblesse héréditaire; il en était de même dans l’empire musulman de l’Inde. Le
Berger et le Roi (X, 9) montre ainsi comment un berger devient premier
ministre, fonction qu’il abandonnera volontiers, une fois menacé de disgrâce.
Comme dans Le Bassa et le marchand, une anecdote à l’intérieur de la fable, celle
de l’aveugle qui confond un fouet et un serpent, est aussi une technique du
récit oriental. Enfin dans L’Ingratitude et l’Injustice des Hommes envers la
Fortune (VII, 14), c’est l’organisation du commerce avec l’Asie du Sud-Est qui
est évoquée, et notamment l’importation européenne de porcelaine chinoise.
On
s’aperçoit combien La Fontaine avait bien retenu les leçons de ses informateurs
; pas d’erreurs anachroniques; les personnages, s’ils ressemblent à nos
ancêtres, sont empruntés à l’Orient proche ou lointain. Et ce vieux fonds
commun, développé en Inde, en Iran, au Levant, en Turquie, nous paraît, par le
génie de notre auteur, bien «de chez nous». «La Fontaine est, pour nous, nos
Mille et une Nuits, aussi riches, aussi variées, aussi désinvoltes et poétiques
que les histoires de Shéhérazade» conclut Marcel Schneider. La Fontaine, eût-il
été persan, nous lirions toujours avec un savoureux intérêt ses mille et une fables, voire ses mille et un conte.
Conte: S'inscrivant dans la vogue du
merveilleux qui sévit alors dans les salons, Charles Perrault renouvelle le
genre du conte de fées avec ses Contes en vers (1694) et les Contes de ma mère
l'Oye en prose (1697). Ces récits, qui empruntent à la tradition orale et
populaire, brillent par leur ambiguïté: issus d'une littérature naïve et
enfantine, ils sont pourtant l'œuvre élaborée d'un érudit spécialiste des
lettres et, de ce fait, sont susceptibles de se prêter à plusieurs niveaux de
lecture.
Essor des genres mondains: La vie des salons aristocratiques
est, tout au long du XVIIe siècle, particulièrement intense: c'est là qu'ont
lieu les grands débats littéraires du temps, et de nombreux auteurs de premier
plan sont familiers de ces milieux. Ce lien étroit entre la vie mondaine et aristocratique, d'une part, et la littérature, d'autre part,
explique l'importance prise par ce que l'on peut appeler les «genres mondains»
dans la littérature du temps. Voir salons
littéraires.
Correspondance et récit épistolaire: L'art de la conversation mondaine trouve un équivalent
littéraire dans la correspondance, genre où s'illustre notamment Mme de
Sévigné, dont les Lettres représentent un précieux témoignage sur les
mentalités du temps. Les lettres de la marquise sont authentiques; destinées
par leur auteur à un usage strictement privé, elles ne seront publiées qu'à titre posthume. Mais le public se révèle si friand de
cette forme littéraire «vraie», que de nombreux auteurs composent de fausses correspondances (en fait, des romans épistolaires) en les
faisant passer pour authentiques. C'est le cas notamment du sieur de
Guilleragues, qui publie son roman les Lettres portugaises, en faisant croire
que ces lettres brûlantes de passion ont été réellement envoyées par une
religieuse à un amant volage et lointain ; le débat sur l'authenticité de cette correspondance amoureuse a perduré jusqu'à une date très récente et leur
attribution à Guilleragues est établie avec certitude depuis peu.
Œuvres de moralistes: Le
goût de Mme de Sévigné pour le trait d'esprit et pour la peinture des mœurs de son
temps caractérise également les écrits de moralistes tel La Rochefoucauld à qui
l'on doit de sévères Maximes, qui brillent par la rigueur et la concision de
leur syntaxe et par la finesse judicieusement ambiguë de leur propos. Dans un
genre littéraire également concis, le portrait, emprunté à Théophraste, et une
perspective tout aussi moraliste, Jean de La Bruyère connaît un succès immédiat
avec ses Caractères (1688), série de portraits et de maximes qui renvoient,
certes, à des contemporains bien réels de l'auteur, mais davantage encore à des types sociaux. Témoin de son temps et moraliste lui
aussi, le cardinal de Retz dépeint les subtilités politiques de la monarchie
d'une plume souvent acide dans ses célèbres Mémoires ; citons aussi l'épicurien
Saint-Évremond, auteur d'essais littéraires ou moralistes et, plus tardivement, le duc de Saint-Simon, grand seigneur et
courtisan aux idées conservatrices, qui compose des Mémoires (1739-1750,
publiés en 1829), fruit d'observations souvent acérées sur la fin du règne de Louis XIV et la crise des valeurs aristocratiques. Voir Mémoires.
Récit «mondain» et roman de mœurs: Le récit est marqué naturellement par
cette mondanité: c'est le cas de la Princesse de Clèves (1678) de Mme de La
Fayette, d'abord titré Mémoires. Ce roman, qui a pour cadre la cour d'Henri II,
le monde aristocratique le plus raffiné et le plus policé, pose des questions
morales propres à ce milieu: la fidélité d'une femme à un époux qu'elle n'a pas choisi et l'interdit qui pèse sur l'amour qu'elle ressent pour un
autre. Cependant, le roman de mœurs, héritier du roman comique, est inauguré
avec le Roman bourgeois (1666) de Furetière: prenant le contre-pied de récits
mondains écrits par les aristocrates, il fait entrer la petite bourgeoisie dans
l'univers romanesque.
Les Théories littéraires: Le Grand Siècle a encore la particularité d'engendrer des systèmes littéraires, marqués par
l'attachement à un passé glorieux et mythique, et qui sont précisément le
fondement de ce que l'on appelle le classicisme en littérature. Les grands
principes érigés à cette époque ont pour nom imitation des Anciens et emprunts
bibliques, régularité et maîtrise de la forme, classification et épuration du lexique,
codification des genres littéraires: le Beau classique va de pair avec le Vrai
et le Bon, c'est-à-dire avec le Divin. Boileau, qui s'inscrit d'abord dans la veine moraliste et mondaine avec ses brillantes Satires (1657-1665,
publiées en 1666) puis avec ses Épîtres (publiées en 1674), s'attache ensuite à
normaliser l'art d'écrire: son Art poétique (1674) fait la synthèse des
pratiques de la littérature classique, en développant l'idée d'une poésie qui
serait le fruit de l'inspiration divine, mais en soulignant la nécessité du travail et de la discipline pour atteindre la perfection. Sublime et pure, la poésie selon
Boileau se situe dans un difficile équilibre; aux yeux de ce «législateur du
Parnasse», seuls Corneille, Racine et Molière trouvent grâce. Si les œuvres d'un auteur
incarnent à la perfection les principes du classicisme, il s'agit sans doute
des sermons et des oraisons funèbres de Bossuet, le plus grand prédicateur de cette période : tant par leur perfection
formelle que par leur propos résolument conservateur, ils constituent en effet
des modèles du grand style. Voir Oraisons
funèbres.
Le Déclin du
classicisme: Les difficultés politiques entraînent une révolution progressive des
mentalités à partir de 1680, et l'équilibre classique s'en trouve rompu. La querelle des Anciens et des Modernes, débutée vers 1670, révèle un clivage insurmontable entre les
défenseurs des Modernes, comme Fontenelle ou Perrault, et les tenants des Anciens,
comme Boileau, Racine et La Bruyère. Des œuvres comme le roman didactique, idéaliste et philosophique de Fénelon, les Aventures de Télémaque (1699), mais aussi le scepticisme d'un Saint-Évremond et
l'ouverture d'esprit d'un Pierre Bayle sonnent la fin de l'âge classique et
annoncent la sensibilité du siècle des Lumières.
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